Harpe-thérapeute qui accompagne les personnes en fin de vie…
Magnifique témoignage de ce parcours de vie, qui a conduit Esther à vouloir accompagner des émotions trop souvent reniées lors de ce passage.
Cet article vaut vraiment le détour.
Ainsi que sa Musique…

Trouver sa place, ou comment un bouchon sur l’autoroute peut vous guider vers votre destin

Mon grand-père paternel décède quand j’ai six ans, c’est la première fois dans ma vie que je suis confrontée à la mort. J’aimais beaucoup mon grand-père et j’ai envie de le voir une dernière fois et lui dire au revoir dans son cercueil. Des bouchons sur la route d’Amsterdam nous mettent en retard. Une fois arrivée à la maison de mes grands-parents, je monte à toute vitesse l’escalier mais quand j’arrive devant la porte de la chambre, un homme des pompes funèbres me la ferme au nez. « L’heure, c’est l’heure », il faut mettre le couvercle. Je suis infiniment triste. De retour à la maison, après les obsèques, je m’effondre. Et là, consternation, ma mère m’interdit, violemment, de pleurer. Elle me fait remarquer que mon père, fils de mon grand-père, ne pleure pas, alors, pourquoi (de quel droit), moi, sa petite-fille, est-ce que je pleurerais ? Je n’ai plus versé une seule larme jusqu’à l’âge de 21 ans.

Petit à petit, je comprends que ma mère était incapable de supporter mes larmes, d’être confrontée à mes états d’âme. Ses parents à elle étaient morts jeunes, à quelques mois d’intervalle et de façon tout à fait inattendue.  Jamais elle ne s’est permise de digérer leur décès. Ou de demander de l’aide dans ce sens-là. Elle se sentait coupable de vivre, se l’est interdit par la suite avant de me l’interdire à moi aussi.

Ainsi je comprends, peu à peu, que la mort et les émotions qui entourent la mort sont difficiles à vivre et que les gens préfèrent ne pas y penser, étouffer ce qu’ils sentent et accepter le tabou plutôt que de regarder leurs émotions en face, les sentir, les dire, les laisser se transformer et d’avancer. Je comprends aussi que ces non–dits et le fait de ne pas se donner/avoir le droit de s’exprimer, rendent la fin de vie et la mort très compliquées et douloureuses. Bien au-delà de la difficulté de réussir à accepter l’absence, de découvrir cette nouvelle présence, dans l’absence et de trouver sa nouvelle place dans la vie de tous les jours.  J’ai compris aussi, senti dans la chair, que le tabou de la mort et l’interdiction de vivre les émotions l’entourant nous sortent de notre Vérité profonde, font que nous ne pouvons être entiers, font que ne pouvons vivre la vie pleinement.

Depuis que je travaille en tant que harpe-thérapeute, j’ai compris que pour ceux qui sont très malades ou en fin de vie, le tabou pèse souvent d’une telle façon qu’ils ont l’impression de ne pas avoir le droit de mourir malgré le fait qu’ils sentent que leur corps est au bout et que, quelque part en eux, ils se sentent prêts à lâcher. Mais c’est pour beaucoup une chose inavouable auprès des proches et, parfois aussi, auprès de l’équipe médicale. Vous vous imaginez la souffrance.

Suivre son chemin

Enfant, j’avais l’impression d’avoir toujours existé. Je ne supportais pas mes tantes qui me disaient à chaque anniversaire d’un ton émerveillé : « mais qu’est-ce que t’as grandi ! » En moi, alors, ça rageait : « tu ne vois donc pas que je suis toujours la même ? ». J’avais une vive impression, qu’au fond de moi, il y avait quelque chose d’immuable, chose à laquelle je m’identifiais totalement.

Il me semble que c’est cette sensation d’éternité, de continuité qui explique l’absence de la peur de la mort. Comme si pour moi, d’une certaine manière, elle n’existait pas.

C’est finalement un peu avant l’adolescence que j’ai été confrontée à des corps de défunts, cela ne m’a jamais fait peur et je me suis toujours sentie à l’aise. Je n’ai jamais été effrayée non plus en présence de personnes qui allaient bientôt quitter la terre. Réalisant qu’en général les gens trouvaient ça bizarre, j’ai fini par me dire que j’étais peut-être une « entre-deux » ni tout à fait d’ici, ni tout à fait de l’autre monde…

Étudiante en arts du spectacle, je dévore les livres d’Elisabeth Kübler Ross sur l’accompagnement de fin de vie. Enthousiasmée par ses écrits, je fais la demande pour intégrer son association pour commencer à accompagner des malades. Mais lors de l’entretien avec la psy, elle me fait comprendre que je suis trop jeune. Je ne comprends pas car j’ai vraiment la sensation que ma place est là. Ce refus est une profonde déception.

Entretemps, je me suis installée en région parisienne et « un coup de pied aux fesses » d’une amie me fait atterrir sur le chemin du conte. J’approfondis ma compréhension de la tradition orale auprès du conteur Henri Gougaud.

C’est en arrivant en Bretagne, quelques années plus tard, que je reprends ma harpe, délaissée depuis un certain temps. J’aime l’emmener pour des balades contées en pleine nature.

Pendant ces balades, je porte ma harpe d’un arrêt à un autre, un jour j’en ai assez d’avoir mal aux mains avant de commencer à jouer. Ce soir-là, je me mets à chercher sur le web une petite harpe, transportable en bandoulière. Très vite, je tombe sur une très jolie harpe, un petit modèle très harmonieux fabriqué par un luthier américain. Son nom : « therapy harp » …. Intriguée, je fais des recherches et j’apprends qu’il existe aux Etats Unis des écoles proposant des cursus pour devenir harpe-thérapeute. À ce moment précis, j’ai l’impression que tous les bouts du puzzle qu’est ma vie trouvent leur place. J’ai toujours été attirée par le travail d’art-thérapeute, j’ai passé plusieurs concours, mais je n’ai jamais fait le pas. J’épluche les programmes des différentes écoles. L’International Harp Therapy Program me convainc, elle propose aussi bien l’étude du côté scientifique des effets des sons et de la musique sur l’être humain, que le développement de capacités plus intuitives.

Quelque chose en moi me dit que je dois faire cette formation mais ça me semble aberrant. Que ferais-je d’un diplôme américain de harpe-thérapeute en France ? Pays où même le cursus universitaire officiel de musicothérapeute est à peine reconnu par les institutions de soin.

D’autre part, j’ai trois enfants en bas âge et un compagnon voyageur qui est là six mois sur douze. Une grande partie de la formation se fait par correspondance mais il va quand même falloir partir aux Etats-Unis à plusieurs reprises pour des périodes de cours et un stage encadré par la directrice de l’école.

Je m’adresse alors à l’Univers : « Écoutez, j’ai l’impression que vous êtes en train de me dire qu’il faut que je fasse cette formation, je veux bien mais il faut que ce soit facile à mettre en place … »

Le tapis rouge se déroule

Le weekend qui suit ma découverte, je suis invitée à animer une « soirée contes » pour une association locale (Faire-Face-Ensemble), une très belle association dont les bénévoles visitent des personnes pendant leur chimio thérapie, proposent des ateliers et de l’écoute aux malades et leur entourage. Je dîne avec le bureau de l’association avant le spectacle et afin de tâter le terrain, je parle de mon projet éventuel. Contre tout attente, l’accueil est d’un enthousiasme inouï. Et sans hésiter, ni concertation, on me dit : « si tu fais la formation, nous, on t’engage par la suite » … Dans la semaine qui suit je fais des enregistrements et envoie mon dossier de demande d’inscription. Je suis admise. Par la suite, l’organisation familiale s’avère toujours fluide. Je pense terminer à l’Automne trois ans plus tard mais, au mois de mai, je reçois un coup de fil de l’hôpital de Vannes. Je suis à ce moment-là en train de compléter mes heures de stage dans le cadre de Faire-Face-Ensemble. On a entendu parler de mon travail et on me demande si ça m’intéresse de remplacer pendant trois ans la musicothérapeute de l’hôpital qui part en congé maternité.  Le contrat débute au premier septembre. Je me mets à bosser comme une dingue et reçois mon diplôme pendant l’été.  Je suis toute émerveillée, sans rien faire, en tant que hollandaise, j’ai signé un contrat avec un hôpital français avant même d’avoir un diplôme américain qui, a priori, ne veut rien dire en France.

C’était il y a douze ans. Depuis je travaille beaucoup avec des personnes en fin de vie, des personnes en chimio thérapie, en néonatologie avec des prématurés et avec des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Pour ce dernier groupe, j’ai développé une méthode mélangeant contes et musique.

Finalement je me retrouve tous les jours dans ces espaces d’entre deux mondes et je m’y sens bien, à ma place.

La chose la plus importante pour moi dans ce travail est d’aider les malades à se reconnecter à ce qu’ils sont au plus profond d’eux-mêmes. Trop souvent les personnes que je rencontre l’ont oublié et ont fini par ne plus s’identifier qu’à leur corps malade.

Voici un exemple d’une séance autour de ce thème que je relate dans mon livre-disque « Merisier j’étais » :

Un matin j’entre, dans une chambre à l’hôpital de jour. De l’autre côté de la fenêtre, on voit l’étang transformé en diamant par le soleil d’hiver et des oiseaux qui font en criant leurs allers et venues à travers les reflets des facettes.

Dans la chambre, tout est calme. Un homme est assis dans un fauteuil et dit que la harpe le fera sans doute dormir. Je le rassure en disant qu’il n’y a pas de souci, que je le prendrai plutôt comme un compliment.

Comme il n’y a pas de chaise, je me cale contre le mur, à deux pas du fauteuil.

Je décide d’improviser quelque chose de lumineux, doux et berçant.

Après quelques notes, je vois que le menton de Mr commence à trembler.  Son nez se met à couler et très vite des larmes aussi coulent, beaucoup de larmes. Larmes silencieuses qui font trembler tout le haut de son corps. Un barrage semble se briser. Je continue à accompagner, accueillir les flots avec bienveillance et douceur.

Après la séance, en séchant son visage, il me dit : « Vous m’avez pris au dépourvu, c’était tout de suite. Je ne sais pas ce qui s’est passé. C’était tellement doux mais tellement puissant, en même temps, si direct … »

Puis, après un moment de silence :

« Je suis heureux ! Vous savez, je fais le gros dur depuis tellement longtemps déjà et encore plus depuis que je suis malade. Je ne savais pas qu’à l’intérieur, il y avait encore autre chose. Vous avez créé une brèche, c’était dur ou peut-être même pas. J’avais une confiance totale, aucune gêne. Merci infiniment, je me retrouve, je suis là, je suis heureux ! »

 Dans le fauteuil, un autre homme me regarde. Visage lavé, allégé, libéré.

Pétillant comme les reflets des rayons du soleil d’hiver sur l’étang.

Petit à petit, un autre « combat » s’annonce …

L’ayant vécu, et voyant tous les jours, à quel point les non-dits autour de la fin de vie et la mort sont une source de souffrances pour les malades, ceux qui les entourent et même pour les soignants, j’ai décidé de faire tout mon possible pour aider à briser le tabou.

Dans ce but, j’ai écrit « Merisier j’étais », un livre-disque témoignant de dix ans d’accompagnement par la harpe. C’est certes un partage de ma pratique mais surtout, je l’espère, un encouragement à oser être proche et vrai dans les moments passés à côté des personnes gravement malades ou en fin de vie.

J’ai également créé un spectacle de contes « Cygne de Vie » dont l’idée est d’aider à ouvrir la discussion. Après le spectacle, je propose un espace où l’on peut échanger, s’exprimer, partager autour de tout ce qui concerne la fin de vie, la mort et le deuil. Vous trouverez une vidéo de présentation sur YouTube: https://www.youtube.com/watch?v=Ul2syokIXMQ&feature=player_embedded

Actuellement, j’essaie d’aller un peu plus loin encore et je suis en train de monter « Le café de l’Ankou , le café mortel vannetais ». Le premier café mortel a été monté par le Suisse Bernard Crettaz, il y a une bonne vingtaine d’années. L’idée est de ramener la discussion autour de la mort dans l’espace publique. Ici le café, espace libre par nature où tout le monde peut venir pour dire (ou non, on n’est pas obligé de parler) ce qu’il a au fond de lui et ce qu’il ne peut exprimer dans son cadre quotidien.

Il ne reste plus qu’à trouver le café partenaire pour débuter cette nouvelle expérience ! Histoire à suivre…

ESTHER MIRJAM GRIFFIOEN

Vous pouvez contacter Esther :
– par Mail : emgriffioen.pro@gmail.com emgriffioen.pro@gmail.com

Si vous avez envie d’acquérir Si vous avez envie d’acquérir le livre-disque « Merisier j’étais » (15€, frais d’envoi compris pour les 100 premières exemplaires) ou si vous avez envie d’organiser un  spectacle « Cygne de Vie » autour de chez vous chez vous

– sur sa page Facebook : https://www.facebook.com/esthermirjam.griffioen