J’ai connu Odile il y a 10 ans dans un stage sur le féminin et sur les sorcières…. On a plongé ensemble dans une grotte du Pays Basque où a eu lieu l’un des plus grands génocides de Sorcières de l’époque… On a tout de suite eu une vraie connection… et développé un vraie lien de sororité… Ce lien dont les femmes on le secret…. On s’appelle « ma fée »… Aujourd’hui Odile publie de nombreux ouvrages dans de grandes maisons d’éditions… Mais celui là d’ouvrage, je l’affectionne tout particulièrement … « Âme de sorcières »…. Tou mon coeur et mon corps vibrent à la seule lecture de son titre…

 

Lorsque j’ai proposé à mon éditrice, à mon retour de Compostelle, d’écrire sur les sorcières, elle m’a regardé étrangement, puis est passée à autre chose. Deux mois plus tard, elle me redemandait sur quel sujet je voulais travailler « maintenant », l’un de mes livres ayant vraiment bien marché… Je récidivais : mon prochain livre serait sur les sorcières, chez elle ou chez un autre éditeur, peu m’importait. Je voulais en savoir davantage à leur sujet. Finalement, elle a non seulement accepté d’avancer avec moi sur ce projet, mais elle m’a magnifiquement accompagné. Et si je suis si fière aujourd’hui du livre finalisé, c’est aussi grâce à elle, qui a su me faire saisir toute la puissance et la modernité de cet archétype étrange. Et aujourd’hui, lorsque l’on me demande, pourquoi les sorcières ? Je réponds, êtes-vous bien sûrs de les connaître ? Pour ma part, alors que ces femmes me passionnaient depuis des années, voire des décennies, j’ai appris tellement de choses à leur contact que je sais que ma vie en est transformée à jamais. Oui, je suis tombée amoureuse de mon sujet. Et c’est bon. Le saviez-vous ?

Entre le 14ème et le 19ème siècle, entre 50 000 et 9 millions de femmes (ce chiffre est en effet étonnement variable selon les historiens) ont été tuées sous prétexte d’alliance avec le diable, le pic d’un tel déchaînement de violence ayant eu lieu au 15ème et 16ème siècle. Oui, vous avez bien lu. Des dizaines de milliers, voire des millions de femmes sont mortes, pour rien, ou plutôt si, parce qu’elles dérangeaient leurs contemporains.

Ce sexocide, ou ce gynocide, comme l’appellent certains auteurs, reste encore tu de nos jours. Et c’est peu dire que cela me met en colère. Nous nous trouvons face à un incroyable déni collectif. L’histoire, écrite par les hommes et pour les hommes, ne pouvait que passer sous silence un tel déchaînement de violence. Pire, l’image véhiculée sur les sorcières semble avoir fait l’objet d’une belle tentative de manipulation : la sorcière des contes de fée devient laide, sale, méchante… Bref, elle semble avoir bien mérité ce qui lui est arrivé ! Alors aujourd’hui encore, lorsque l’on prononce le mot de sorcière, notre interlocuteur ne peut parfois s’empêcher de grimacer. Et pourtant, si les choses ne s’étaient pas exactement passées comme on nous l’a raconté ?

Pourquoi a-t-on massacré toutes ces femmes ? C’est l’une des premières questions que je me suis posée lorsque j’ai commencé à écrire. Quels ont été les enjeux cachés d’une telle persécution ? La première raison est aussi déroutante que percutante : on les a tuées parce qu’elles étaient des femmes. Or dans la pensée dominante de cette époque, ce sont donc celles par qui le pêché est arrivé (puisque que c’est Eve qui a croqué la pomme au paradis…). Si les tribunaux de l’Inquisition ont d’abord été créés pour poursuivre les hérétiques, les inquisiteurs ont vite débordés de leur prérogative et ont allègrement poursuivi de nombreuses femmes, parce qu’elles les dérangeaient, parce qu’elles n’étaient pas comme les autres, parce qu’elles n’avaient pas voulu coucher avec eux, ou parce qu’elles avaient couché avec un autre. Mais ce n’est pas tout. Tout un contexte était également en place, qui a favorisé leur mise au ban de la société et en a fait de parfaits boucs émissaires. Et même si je ne suis pas historienne, je trouve ça important de vous le rappeler, car il ne peut manquer de nous faire penser à ce qui se passe maintenant, non ?

  • Le contexte politique

La chasse aux sorcières correspond à la fin du Moyen-Age : dans les villages de cette société féodale, il existe des terres communes que l’on appelle simplement les Communs. Ces espaces qui appartiennent formellement au seigneur, sont laissés à la disposition des villageois, qui peuvent y mettre leurs cochons en pâture, y ramasser du petit bois ou y faire pousser quelques pommes de terre. Sauf que… 1492, ça vous dit quelque chose ?! 1492 : Christophe Colomb découvre l’Amérique. Suite à cette découverte, de grandes quantités d’or, de métaux et pierres précieuses déferlent sur l’Europe. De grandes fortunes se font. Et les seigneurs des villages ne veulent pas être en reste d’un tel enrichissement. Ses terres qu’ils avaient laissées à la disposition de tous, ils vont les récupérer. Les plus pauvres se retrouvent sans ressource, la mendicité, l’insécurité se développent. Les plus marginaux sont montrés du doigt, ça commence à tourner vinaigre pour les femmes. On le sait, dans les périodes de crispation économique, celles-ci se retrouvent souvent à être le dindon de la farce. A cette période, c’est très net : alors qu’au Moyen-Âge, les femmes travaillaient, dirigeaient des syndicats, pratiquaient la médecine comme la chirurgie, elles vont finir petit à petit par quitter l’espace public pour être incitées, avec plus ou moins de violence, à travailler gratuitement pour leur mari.

  • Le contexte démographique

Au milieu du 14ème siècle, la peste noire décime l’Europe. Près de la moitié de sa population disparaît. Alors que les états sont en train de se structurer de plus en plus, les classes dirigeantes prennent conscience que la richesse d’un pays dépend beaucoup du nombre de ses sujets (déjà parce qu’il faut des soldats pour faire la guerre). Une pression importante est mise sur les femmes, afin de les empêcher autant que possible de maîtriser leur fécondité : l’avortement et l‘infanticide sont condamnés avec de plus en plus de fermeté, le viol des classes populaires de moins en moins… Et les femmes qui s’occupaient des autres femmes durant l’accouchement, les fameuses matrones, vont finir par être remplacées par des hommes, histoire d’accroître cette surveillance.

  • Le contexte médical

Alors que la médecine accusait un retard important en Europe, le contact avec les populations arabes va lui permettre de bénéficier de nouvelles lettres de noblesse : les premières Universités médicales voient le jour. Elles sont interdites aux femmes (bien-sûr) … Et ces médecins nouvellement formés, avec la complicité de l’église, vont tout faire que les guérisseuses cessent de soigner le peuple dans les campagnes. Celles qui joueront aux fortes têtes seront punies de mort. Alors que ces guérisseuses maîtrisaient les secrets des simples, certaines notions d’anatomie, les médecins « officiels » n’ont que peu de remèdes à proposer, des prières, quelques saignées… Rappelez-vous des Médecins de Molière ! Les malades y ont clairement davantage perdu que gagné, et il a fallu plusieurs siècles pour que soient réhabilités les remèdes des sorcières.

  • Le contexte religieux

Les séismes qui secouent l’église chrétienne au début du 16ème siècle avec la Réforme et la Contre-Réforme finiront par porter un coup fatal au monde des sorcières. On assiste alors en effet à une forme de surenchère, de crispation de la morale collective, favorisant des comportements de plus en plus rigides, dans le domaine de la sensualité, de la sexualité en particulier. C’est aussi la fin de l’Immanence, qui veut que toute chose en ce monde soit porteuse d’une singularité, d’une conscience. L’immanence, qui avait survécu au catholicisme à travers les pratiques et les croyances qu’incarnaient entre autres les sorcières, ne résiste pas à la mise en coupe réglée de la culture populaire qui se joue alors et s’est prolongée jusqu’à maintenant : L’être humain est petit à petit coupé de son propre corps, coupé de ses semblables, coupé de la nature.

Tous ces facteurs ont représenté une rupture impressionnante. On vous l’a sûrement appris à l’école sous le nom de Renaissance. Ce que l’on ne vous a probablement pas expliqué, c’est que les femmes ont été les grandes perdantes de cette transformation. Ce triomphe de la raison a surtout été celui de la raison du plus fort. De nouvelles formes d’activité sont survalorisées alors que la vie sensuelle se trouve dénigrée ; le travail finit par constituer une fin en soi, avec pour corolaire de condamner le temps de vivre, le plaisir, la jouissance du moment, et de glorifier et valoriser le contrôle, la domination du corps et de la nature, l’organisation hiérarchique, la compétition, l’individualisation. La société dite moderne avec ses dogmes, ses croyances et ses valeurs – que nous connaissons bien – se met ainsi en place. Et le martyr des sorcières finit par tomber dans l’oubli.

Et aujourd’hui ?

Ce que je crois, c’est que ce monde qui s’est mis en place à la fin du moyen-Âge, ce monde patriarcal, mécaniste, matérialiste, destructeur de la nature, est à bout de souffle. Et qu’il devient possible de réinventer autre chose, éventuellement en s’appuyant sur le savoir de ces femmes. Car les sorcières ne savaient pas seulement maîtriser l’usage des plantes. Elles savaient utiliser leur intuition, diriger les énergies, se connecter à des forces supérieures. Elles savaient aussi penser par elles-mêmes, faire des expériences de tous ordres, en lien avec la nature en particulier, être autonomes, tout en sachant jouer collectif. Pourquoi ne pas se laisser inspirer de leurs innombrables connaissances ? C’est tout mon propos dans Âme de sorcière, et ce serait, je crois, une juste manière de les honorer, d’éviter qu’elles se retrouvent reléguées, définitivement, aux pertes et profits de l’Histoire.

Mais attention, dans un même temps, ne vous laissez pas duper : Les sorcières et les sorciers d’aujourd’hui ne sont pas nécessairement là où on croit les trouver, ils ne portent pas forcément des chapeaux pointus ni ne dansent dans les prés tout nus. Elles et ils sont surtout ceux qui osent penser par eux-mêmes, défier les différentes formes d’autorité, interroger le monde, prendre soin des autres, repenser la démocratie, l’égalité, soigner sans avoir le blanc-seing de la faculté, jouir de la vie même si c’est hors des cadres préétablis. Ceux qui aspirent à la liberté quel que soit le prix à payer : les lanceurs d’alerte, les hackers. Ceux qui veulent réenchanter le monde à leur manière : les artistes, les poètes. De très nombreuses femmes probablement aussi, car il me semble que chacune sent au fond d’elle-même être détentrice d’un pouvoir spécial, d’une sorte de secret, qu’elle n’a pas laissé émergé, qui n’a (peut-être) pas encore été révélé… Dans cette vision du monde, les valeurs relationnelles – la sensibilité, l’intuition et l’imagination créatrice – retrouve un rôle central et le processus d’empowerment de la magie peut alors nous aider à développer notre potentiel afin de nous émanciper de l’emprise exercé par l’hégémonie de la raison et les excès de la société de consommation. Il nous permet de nous réapproprier notre corps, notre savoir, notre vie, afin de les propulser dans une direction que nous aurons nous-même choisie. Et je ne peux que remercier les sorcières, à travers l’histoire, de nous faire un tel cadeau pour aujourd’hui.

Odile CHABRILLAC

Auteur du livre “ Âme de Sorcières “ : Cliquez ici