Béatrice fait partie du groupe des « Charline »… Il est des personnes qui ont de sacré chemin…
Elle en fait partie… Je suis admirative de ce courage et de cette force qui émanent des personnes
qui touchent de profonds abîmes, pour faire l’expérience de la Lumière…
Merci pour ce Témoignage poignant…

Je suis Béatrice, artiste autodidacte, née dans un petit village de Normandie, dernière d’une fratrie de sept enfants.
Mes parents : un couple déchiré, un père alcoolique parti très tôt. Du plus loin que je me souvienne mon parcours de vie ne fût que souffrances et traumatismes.

À mes 18 ans, je suis sans vrais repères.
Embarquée dans le monde du travail à Paris, tout à tour vendeuse en boulangerie, commerciale en assurances, avec ce questionnement incessant: comment, pourquoi, se résigner à la survie ?
Je décide donc à ce moment là de me lancer dans une aventure personnelle. Je suis alors une formation de restauratrice de miroirs anciens.
En 2001, avec trois sous en poche, je crée Miroir du Passé.
Je passe mes semaines à restaurer, les week-ends en exposition,… J’ai pas vraiment de temps pour le repos, mais à force de travail, la notoriété est venue.
Et je suis devenue une spécialiste en antiquités et miroirs anciens.

Mais en Janvier 2006, après une rupture sentimentale je perds pied… Et c’est l’hôpital psychiatrique… Une première hospitalisation d’une longue série.
Après un premier diagnostic de bouffée délirante et de multiples récidives, on finit par me coller l’étiquette de bipolaire.
Pourtant, dans ces périodes de crises, je vivais des moments de transcendance indescriptible où je ne faisais qu’un avec le grand Tout. J’étais autant le brin d’herbe que le nuage ou le soleil, c’étaient des expériences tellement intenses !
Je voulais retrouver cette unité primordiale, le grand problème c’est que je passais la porte magique sans lâcher l’ego, et il faut d’abord mourir pour renaître !
Je devais être patiente… Je m’accrochais, je résistais, je sentais au plus profond de moi, et cela dès mon plus jeune âge, que ce que « je SUIS » est plus fort que tout.
Je me alors suis réfugiée dans la lecture, je dévorais tout ce que je pouvais trouver sur la psychologie, la spiritualité, le bien-être. J’ai entrepris une thérapie, me suis tournée vers les médecines douces, acupuncture, yoga…
Mais rien n’y faisait, les rechutes étaient régulières.
C’est alors que j’ai ressenti l’appel puissant de la nature…
Mère Nature, comme j’aime l’appeler.
Il n’y avait pas un seul arbre dans ma rue ! Oui, fuir le goudron, le béton, la capitale, pour les verts bocages de ma Normandie, Après tout, je pouvais restaurer mes miroirs en province et ne revenir à Paris que pour les expos.

2014, Je franchis enfin le pas… J’ai vendu mon appartement et me suis installée dans le Perche, un endroit idyllique.
Mais hélas, voilà que bientôt, avec la « crise économique » qui s’accentue, les commandes se raréfient, mes affaires périclitent. Je n’arrive plus à boucler les fins de mois et la banque s’impatiente.

C’est le début d’un nouveau cauchemar, une descente aux enfers avec la valse sinistre des recommandés, des huissiers, des menaces de saisies.
Mais, je résiste, je veux continuer malgré tout de croire à mon beau projet…
… jusqu’à cet automne 2016, où là, acculée, un courrier de saisie-vente d’huissiers : je dois « quitter les lieux ».
Trop c’est trop, re-hospitalisation…
A ma sortie, je me retrouve sans aucune ressource, il faut attendre qu’un dossier RSA soit validé, et je dois me reloger, que faire ?
Grâce à la providence, je trouve une propriétaire compréhensive qui me fait confiance, à deux jours de rendre les clefs, je vous passe le stress du déménagement !
C’est ainsi que je me suis retrouvée à la mi-février avec mes deux chiennes dans un petit logement à broyer du noir, sans emploi, sans argent, pensant avoir perdu tout ce qui donnait un sens à ma vie.
Dans cette nouvelle épreuve j’ai souvent pensé rejoindre l’autre côté de la rive. Mais mes deux louloutes m’obligeaient à les emmener chaque jour dans la forêt toute proche, où je restais là, prostrée contre un arbre, à pleurer. Mais finalement, à les regarder tellement pleine de vie, je me suis une fois de plus accrochée !
A l’image de la branche portée par son tronc je me suis reposée sur Mère Nature, je lui ai déposé tout mon fardeau.

Chaque jour j’ai fait une méditation, pour laisser aller, se fondre, se perdre, pour se retrouver avec émoi dans l’enchantement de la forme d’un arbre, des gazouillis d’oiseaux, s’émerveiller devant un ciel de feu.
Et c’est réellement dans cette petite mort que s’est formé mon propre terreau, où la graine qui mourrait à elle-même a pu enfin germer.
Je l’exprime ainsi aujourd’hui, mais alors la souffrance était trop aveuglante.
En fait quand, il n’y a plus rien.. il ne reste qu’une seule et unique chose : l’amour …
Un ami m’a proposé un petit coin de jardin pour faire un potager. Alors j’ai mis les mains dans la terre, je l’ai retournée, je l’ai bêchée, ensemencée, et sa générosité fut sans mesure. La Terre Mère me faisait ressentir intensément ce lien étroit qui unit et relie toute forme de vie .
A travers Elle je me reconnectais à la Source.

Alors à l’image de mes légumes et de mes fruits, j’ai laissé agir la magie de l’énergie vitale qui ne demande qu’à s’épanouir dans un grand lâcher-prise.
La nature est réellement notre divine Maîtresse, il suffit de savoir regarder et contempler je dirais.
L’auteur du Message Retrouvé, le peintre-voyant qui vivait au début du siècle dernier, faisait déjà ce terrible constat :
« L’agriculture est certainement la connaissance la plus utile a l’humanité, cependant beaucoup l’ignorent, et presque tous la méprisent » « Etrange aveuglement ! » il disait encore que « L’art du jardinier, l’art du potier et celui du médecin s’unissent dans l’art du sage, pour manifester la lumière de Dieu dans le monde. », et selon lui, comme pour la graine, nous devons passer par ces sept stades d’évolution :
– ensemencement
– mortification
– germination
– nutrition
– floraison
– fructification
– multiplication
C’est là exposé, je crois, dans sa prodigieuse simplicité à la fois le processus et le grand principe de la Vie. Et c’est en acceptant, en accueillant, sans aucun jugement, ce qui EST, que des fenêtres se sont ouvertes pour moi, en moi.

Une rencontre avec un bûcheron a fait naître l’idée de réaliser des sculptures pour lampes.
Là encore, le processus créatif, l’esprit occupé par les mains à l’ouvrage, m’a redonné une stabilité.
Travailler à la renaissance d’un morceau de bois mort dans la lumière de feuilles d’or me donnait l’impression de participer à l’essence des arbres.

Mais mon travail d’introspection ne devait pas s’arrêter là…
La fréquentation assidue de cette forêt enivrante, avait d’avantage ouvert mon regard, j’ai ressenti plus

intensément ce lien si étroit entre l’homme et la nature et notre précarité liée à sa toute puissance, mais aussi tous ces facteurs environnementaux qui causent tant de méfaits à notre planète, conséquences d’une inconscience vénale.
Ces réflexions ont fait leur chemin pour aboutir à l’idée de conception d’œuvres reliées aux arbres. Ce serait ma contribution à la sensibilisation de la protection de Terre Mère à travers l’art, ce serait faire ma « part de colibri », et puis la beauté n’est-elle pas par excellence un vecteur de prise de conscience.
Cependant, mon projet de sculpture entrepris, je ressentais toujours un manque diffus.
Et puis une nuit, j’ai fait ce genre de rêve si particulier, plus percutant de réalité que l’état de veille. Dans ce songe, je me voyais peindre de grands et beaux tableaux et je ressentais un sentiment de plénitude extraordinaire.
Au réveil, direction l’atelier, pour faire l’inventaire des fournitures : Quelques panneaux de bois, des pots de peintures acryliques, des pinceaux, j’avais sous la main de quoi commencer à m’exercer.
Après une semaine, j’avais utilisé tous les supports possibles, alors je suis allée en ville dans le « magasin d’art créatif » où je trouvais de « vraies » toiles, je me suis sentis attirée vers les grands formats.
Alors que je n’avais jamais touché de pinceaux de ma vie, je me suis testée dans mon propre apprentissage.

Pendant près d’une semaine j’ai exprimé, mes angoisses, mes peurs, mes regrets, toute ma rage aussi, dans des réalisations abstraites, je ne pouvais plus m’arrêter, des journées entières passées jusqu’à très tard dans la nuit.
La passion est née ainsi, sans préméditation, depuis elle ne m’a pas quittée. Dans cette occupation, j’ai senti peu à peu le temps se ralentir, ce n’était pas vraiment ma main qui dirigeait le pinceau, ou alors à mon insu, et je retrouvais ce parfum d’unité vécu qui m’avait tant interpellé pendant mes périodes de crises psychiques.
Enfin je pouvais revivre cette transcendance, la tête dans les étoiles mais en gardant les pieds enracinés. Comme l’énonçait le Sage (Khong-Tseu) : « Négliger la racine et soigner les rameaux, c’est chose impossible. »

Quelle délivrance, et quelle joie a jailli des mutations des couleurs et des formes ! Alors un jour, par reconnaissance, j’ai essayé de reproduire mon arbre, ce gros chêne sur lequel je me suis si souvent reposée. Je fus pleinement satisfaite du résultat… et j’en fus surprise.
Dès lors je ne peins plus que des arbres, à ma manière certes, et peut-être, tels qu’ils le chuchotent.
Aujourd’hui j’ai trouvé sinon la sérénité, une certaine tranquillité d’esprit. Et bien des mois ont passé sans subir de nouvelles crises. Je gagne en confiance, je m’éloigne de cette soi-disant maladie qui ne me paraît reposer que sur une grande sensibilité face à des émotions trop lourdes et trop tôt refoulées.

Un auteur Libanais, dont je regrette d’avoir oublié le nom, a écrit : « L’art, le souffle de Dieu dans le limon de l’homme », cette belle phrase m’avait beaucoup touchée en l’a lisant, aujourd’hui il me semble la comprendre dans sa profondeur.

 

Béatrice