Sylvie a participé au Stage en pleine nature et à l’atelier des Leaders inspirés !
Quand j’ai pris connaissance de son parcours de vie, j’ai souhaité qu’elle témoigne…
Quel parcours de vie !
Je vous laisse la découvrir…


J’ai toujours du mal à répondre à la question de « qui suis-je ». Je pourrais simplement décliner mon identité, mon âge, mon statut ou le nom de ma profession, mais il me semble aujourd’hui que ce serait réducteur tant cela parlerait de ce à quoi je m’identifie. Je ne rejette aucune de ces réalités mais j’ai simplement cessé de croire que je n’étais qu’un simple être humain au moment où ma nature spirituelle s’est révélée à moi. Ces termes ne font pas référence à la religion mais expriment comment la rencontre du « pire de moi-même » m’a ouvert les portes d’accès au « meilleur de moi-même », logé au sein de ma conscience supérieure et invité à un changement de regard profond et irréversible sur les autres et sur le monde.  

Voici mon histoire.

Toute petite, j’ai été animée par une quête de vérité et de justice. Je voulais sauver le monde alors naturellement, mes choix se sont portés vers des métiers contenant ces aspects. Juge, avocat, journaliste grand reporter, mais c’est celui de flic qui s’est imposé avec une évidence absolue. Mon rêve était de travailler sur le crime (crimes de sang et sexuels), alors j’ai fait ce qu’il fallait. Après quelques années de terrain, l’univers a exaucé mon vœu. C’était il y a quinze ans. Auprès de collègues expérimentés, j’ai appris mon métier et complété mon expérience par des formations personnelles axées sur la psychologie. Je voulais pouvoir entrer en lien avec les suspects pour obtenir des réponses que les familles ou les rares victimes encore vivantes fracassées par les tragédies attendaient. Ce qui m’intéressait, c’était établir les faits, rassembler les preuves, identifier les auteurs et les amener au procès pour que justice soit faite. Je voulais que tous ces gens puissent reconstruire leur vie s’ils en trouvaient encore le courage et la force. Je savais que nous étions cette première pierre dont la suite allait dépendre. Pas de procès sans suspect, pas de suspect sans enquête sérieuse et minutieuse.

Il y avait, en ce temps là, les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Les bons, c’était nous les flics, garant de l’ordre et de la loi. Les méchants, tous ceux qui bafouaient les règles de la société et la morale. J’ai exercé mon métier pendant presque vingt ans selon la « loi de la séparation » et c’était normal puisque je ne connaissais que ça.

Mais en 2011, un ver est entré dans la pomme. Petit à petit, il l’a pourri puis a atteint tout le panier. Ce ver a pris les caractéristiques du pervers narcissique et a revêtu le costume du chef de service. La pomme encore verte que j’étais a vite compris qu’elle ne pourrait pas compter sur les autres pommes impactées elles aussi à différents stades, chacun en fonction de ses propres intérêts.  Alors, j’ai fait comme je l’avais toujours fait, j’ai compté sur moi-même.

Les premiers mois, ignorant complètement comment fonctionnait un pervers narcissique, je suis tombée dans tous les pièges. Il insinuait, je réfutais. Il m’accusait, je me défendais. Il ne m’écoutait pas, je le lui faisais remarquer. J’exprimais toutes mes pensées, mes ressentis et sans le savoir, je lui donnais encore plus les moyens d’appuyer là où ça faisait mal. Il s’est acharné. La combattante que j’étais n’en menait pas large. J’ai connu l’enfer. Humiliation, mépris, ostracisme, changement de groupe, mise au placard, retard de promotion, retard de grade, privation de primes, de médailles, menaces, propositions de postes à l’extérieur, il soufflait le chaud, le froid… J’encaissais tout, mais je tenais bon. Je me confrontais à lui, réclamais des explications qu’il me livrait fumeuses et qui m’endormaient le cerveau. Il avait l’habitude le bougre, sa réputation le précédait. Il était le grand chef et il avait une sacrée emprise sur moi. Il l’avait sur beaucoup de monde, en fait.  Pourtant pour je ne sais quelle raison, même cabossée, j’étais persuadée que j’allais m’en sortir. Je devais donc résister et trouver le sens de tout ça.

Malmenée sur un plan personnel et discréditée sur un plan professionnel puisqu’il me considérait comme « limitée intellectuellement et incapable de me plonger dans les dossiers de longue haleine », il m’a jeté de la section des homicides et affecté ailleurs.  C’est ainsi qu’il procédait dès qu’il voulait se débarrasser de quelqu’un. S’il valorisait la première section, il haïssait la seconde et nous le faisait bien sentir.

A mesure que le temps passait, je rapetissais. Je perdais l’estime et la confiance en moi. Je me sentais coupable, confuse, démunie, seule, le sentiment d’injustice grandissait. Les larmes jaillissaient en même temps que la colère et les envies meurtrières. Je rêvais de vengeance. Je m’épuisais sous la charge émotionnelle et somatisait au point d’avoir eu à subir une intervention chirurgicale pour réparer mon corps cabossé. J’étais si épuisée psychologiquement que ma convalescence a duré 2 mois au lieu de 3 semaines. Les insomnies sont apparues. Au bout de six mois, tout ce que j’avais refusé de voir en face m’a explosé en plein visage. C’était le 26 décembre 2013. En un éclair, j’ai su que seule je ne m’en sortirais pas. Me lever le matin était devenu un exploit et rester concentrée sur mon travail, une performance. Je perdais pied. J’étais enragée et songeais sérieusement à porter plainte pour harcèlement, mais je savais aussi que si je faisais ça, mon rêve était fini.  J’étais un flic victime, souffre douleur d’un autre flic et c’était insupportable. Je voulais qu’il paye, le faire descendre de son trône et qu’il endure à son tour mon calvaire, mais en réalité j’étais en train de crever de haine. Alors j’ai utilisé le peu de force qui me restait à solliciter de l’aide. C’est une femme éveilleuse des consciences travaillant sur les blessures profondes du passé qui m’a aidé à sortir de tout ce merdier.

En janvier 2014, ma transformation a commencé. J’ai entendu parler de notion de co-responsabilité et de co-création. Ces mots si insupportables à entendre ont pourtant laissé cette femme me guider. J’ai accepté de descendre dans les profondeurs de mon inconscient sous son regard bienveillant et sécurisant. J’ai rencontré la petite fille blessée de mon enfance, retraversé tous les traumas et restauré toute la relation avec mon père. Ainsi, adulte, je rejouais dans d’autres circonstances et avec d’autres protagonistes, le drame de mon passé. A travers cette épreuve, les mécanismes et motivations inconscientes se révélaient et m’offraient l’opportunité de libérer les chaînes invisibles de la rebelle que j’étais.  J’ai découvert que la vraie liberté était la résultante d’une posture intérieure et non d’actes posés en réaction à des revendications. J’ai compris que mes besoins d’amour et de reconnaissance étaient tels que, trahie par mon investissement professionnel et mon attitude, cet homme (le chef) souffrant certainement des mêmes problématiques que moi dues à son histoire, s’était probablement senti menacé et me l’avait fait payer. Nous avions les mêmes besoins, mais pas les mêmes stratégies.

J’ai aussi réalisé que les objets extérieurs que nous investissons (partenaires amoureux, activités diverses, professions, religions) comblaient, temporairement, ce vide en nous et que, dès que les pansements avaient fini de jouer leur rôle, la vie nous invitait à nous remplir par nous-mêmes en développant notre propre autonomie par cette vraie Présence en nous.

Toute cette expérience m’a montré comment la méconnaissance de notre structure humaine et des forces inconscientes mais encore agissantes de nos blessures passées bâtit nos murs de souffrance. Le visage de nos ennemis apparaît depuis ces souvenirs enfouis. Pour leur survivre, nous fabriquons d’incroyables stratégies dramatiques. Toutes les tragédies humaines surgissent de l’ignorance de qui nous sommes vraiment. Trahir, rejeter, juger, mépriser, lutte de pouvoir, compétition et, a fortiori, tuer, violer, terroriser. Tous ces comportements trouvent leurs racines dans le manque d’amour et l’absence de nourrissement des besoins. Les germes du bourreau, de la victime et du sauveur naissent de nos petits drames ignorés qui peuvent devenir un jour des grands drames.  Je ne dis pas que ressentir la colère est mal, c’est même un mouvement naturel. Mais si ce mouvement s’installe durablement, il devient dangereux et peut affecter l’ensemble de nos projets, de nos relations, de nos vies.

Dans ce changement de paradigme, comment continuer à vivre dans la rancœur ? La réconciliation en profondeur avec les événements de mon passé ont conduit à une réconciliation du bourreau-victime. A mesure que je me suis rencontrée, c’est cet homme que j’ai découvert. Je ne pouvais pas le changer lui mais j’avais le pouvoir de me changer moi. La haine a complètement disparu de mon cœur.  Quatre ans et demi plus tard, j’ai pu poser l’acte juste et ça a définitivement mis un terme à la relation toxique que j’avais avec lui. Les flèches de son poison destructeur avaient cessé de m’atteindre. Il a quitté le service en me présentant des excuses. En échange, je lui ai écrit le message suivant : « Une âme sœur, la vraie est un miroir. C’est la personne qui te montre tout ce qui t’entrave, qui t’amène à te contempler toi-même afin que tu puisses changer. Merci pour ce que vous m’avez apporté. Vous n’imaginez pas le chemin sur lequel vous m’avez mise. Je ne vous oublierai jamais. » Il n’a pas compris. Je ne lui ai pas expliqué.

Cet événement m’a donc ouvert les portes d’une autre réalité, celle que nous sommes tous reliés. La paix ne peut venir que lorsque les voiles qui couvrent la conscience sont retirés.  Plus d’opposants, plus de martyrs, seuls des être blessés par la vie. Le plongeons dans le passé fait jaillir la vérité et met du baume sur les cœurs meurtris. La force de l’amour qui s’exprime à travers l’empathie, la compassion et la bienveillance, mène vers l’unité et réduit le sentiment de séparation.

L’être humain n’évolue que lorsqu’il souffre, c’est pourquoi il traverse des crises individuelles voire collectives. La somme des individus compose la société.  Lorsque trop d’individus sont tourmentés, l’énergie contenue monte et éclate. Troubles, guerres et attentats surviennent. C’est cette prise de conscience que m’a apporté l’attaque de Charlie Hebdo. Mon monde s’est écroulé une deuxième fois. Ma vie a volé en éclats et j’ai perdu le sens de mon existence. Exercer mes fonctions devenait tellement futile puisque tout ce que je faisais n’empêchait rien.  J’étais mal et j’ai beaucoup pleuré. Mais mon cœur ne s’est pas refermé. J’ai à nouveau demandé de l’aide pour rester debout et faire mon travail. Les événements se sont enchaînés jusqu’aux attentats du vendredi 13 novembre 2015. C’était apocalyptique. L’horreur était encore montée d’un cran. Nous étions déjà tous épuisés. Tous ces témoins, ces victimes qu’il fallait prendre en charge…. Nos vies qui étaient exposées… Je rentrais chez moi chaque soir vidée, exténuée, déchirée. Sans haine pour me protéger, le cœur nu. J’avais l’impression qu’on m’enfonçait des poignards en plein cœur. J’ai hurlé encore plus fort à l’aide et j’ai reçu une avalanche de soutien et d’écoute empathique. Ça a permis que ma tristesse prenne le chemin des larmes plutôt que celui des armes. « Vous n’aurez par ma haine » ont dit certaines victimes aux terroristes. Ils n’ont pas eu la mienne n’ont plus…

Depuis 3 ans, je vais de prises de conscience en prises de conscience. Ma vie n’a pas changé mais le regard que je porte sur les choses est complètement différent.  Ma conscience a évolué et mon cœur continue de s’ouvrir. Je me laisse toucher sans m’effondrer. Mes enseignements proviennent de partout et quelques fois, dans l’ordinaire de la vie, à travers un témoin, une victime, un criminel en écho avec ma propre existence. Tout m’offre l’opportunité de grandir.  L’ordre apparaît derrière le chaos. La tendresse derrière l’horreur. L’empathie devant la souffrance. Le pardon au lieu de la haine. Au début c’était dur à avaler tellement je me sentais petite. Comment est-ce que je pouvais aimer et en même temps foutre tout le monde en tôle ? Un jour je me suis confiée à quelqu’un et elle m’a dit : « Ta personnalité ne peut pas accepter mais ton âme est grande, elle le peut. Laisse les choses se faire, ne lutte pas ». Ces mots m’ont apaisé et je me suis réalignée. C’était la preuve que l’amour inconditionnel n’avait pas à exclure les limites de l’humain et que les lois universelles pouvaient se placer aux côtés des lois terrestres, sans les rejeter.  

Lorsque la lumière arrive, elle illumine toutes nos parts d’ombre et nos misères intérieures disparaissent. Cette lumière se trouve en chacun de nous. Les situations extérieures, les événements, les rencontres ne sont que le reflet de nos propres croyances et limitations qui veulent être éclairées pour être apaisées puis abandonnées. Seul l’amour possède la force de guérir et d’apporter la paix.  Et comme charité bien ordonnée commence par soi-même, c’est de nous dont nous devons nous occuper en priorité. C’est notre seule responsabilité. Ensuite seulement nous pouvons nous offrir aux autres à travers notre Présence et c’est elle qui fera bouger les lignes. « Chaque âme qui s’élève, élève le monde ».

« Pas de pause à la conscience » m’a dit un jour un maître spirituel. Elle avait raison. Le meilleur de moi, je le traque dans chacune de mes pensées, dans mes actes de tous les jours, pas ailleurs.  Je suis sur la plus grande enquête de ma vie : moi-même. Chaque instant m’offre l’opportunité de choisir qui je veux être.

Il n’y a pas plus de hasard, de malchance ou de malédiction qui explique ce que nous vivons. Nos tremblements de terre, nos difficultés n’ont pour but que de nous réveiller et de nous permettre de changer notre rapport à la souffrance, de grandir. Leur donner du sens est salutaire. Plonger dans nos marécages offre la liberté, la paix, l’amour et la joie que nous cherchons tous.

On me demande souvent si ce que je vois ne m’affecte pas. En réalité je suis née de ces marécages, comme le nénuphar y prend ses racines. La police est mon chemin initiatique. Je voulais établir la paix, pas faire la guerre. Et pour cela, il m’a fallu d’abord la trouver en moi. Accepter ma propre violence, ma propre imperfection pour accueillir et accompagner celle des autres. Seul celui qui veut être libre comprend qu’il faut pardonner.  

Je n’ai pas de don, pas de talent particulier. Je suis une femme ordinaire qui s’est écroulée plusieurs fois et qui, pour se relever, a osé demander de l’aide. C’est à la portée de tous.  Mon courage vient de là. J’ai toujours foi en l’humain et autant envie de sauver le monde.

Entre temps, j’ai passé un diplôme de thérapeute que j’adapte à mon métier. Je me forme à la CNV, je pratique la méditation et le yoga et suis en train de suivre un cursus pour obtenir un diplôme d’enseignante. J’ignore dans quel but mais qu’importe. Mon chemin commence enfin à ressembler à celui de ma destination, celui de la vérité, de la paix et de l’amour.

SYLVIE LIEGGI

son adresse mail :
Sylvielieggi@gmail.com